Ma vie n'est pas un long fleuve tranquille … Ou du moins, elle ne l'a pas toujours été. Tout a commencé le jour de ma naissance, logique me diriez vous. Enfin, pas vraiment, avant même ma conception, la situation était des plus horribles pour ma mère et ma grande sœur, Ada. Je suis en effet né d'une mère aimante, douce, attentionnée et compréhensive et d'un père immature, stupide, râleur, dépensier et immoral. Oui, je hais mon père. Bien que je sois quelqu'un de profondément bon de nature, je pense que mon père serait la seule personne dont la mort ne m'attristerait pas. Peut-être même que cela m'arracherait un sourire, tant la haine que je lui porte est immense. Mais pourquoi, me demanderiez-vous ? Patience, j'y viens.
Le jour de ma naissance, donc, ma mère était transportée de joie, et mon père aussi. Lui qui avait toujours voulu un fils pour en faire son ''digne hériter'', à comprendre par là un clone de l'abjecte créature qu'il est, il avait vu en moi l'opportunité parfaite et unique d'accomplir son rêve. Si bien que les premières années se passèrent plutôt bien, ou disons plus moins mal qu'avant. Mon père restait toujours un gros dépensier, fêtard et infidèle, mais il était néanmoins plus souvent à la maison à croire les dires de ma mère. Il passait du temps près de moi pour essayer de me formater. Mais dommage pour lui, je tenais de ma mère. Et uniquement de ma mère. Il faut dire que c'était surtout elle qui séchait mes pleurs la nuit, qui me nourrissait quand j'avais faim, qui s'occupait de moi quand ça n'allait pas, qui pansait mes plaies quand je me faisais mal. C'était ma mère qui faisait tout ça, même si ma sœur Ada l'y aidait beaucoup. Mon père lui, il se contentait de me répéter que j'allais devenir un homme fort et viril, que je serai comme lui, qu'il était un bon exemple de réussite.
Comme je l'ai déjà dit, il comprit plus tard que je n'étais pas comme lui. J'étais un petit garçon doux et sensible, attiré par les arts et non la violence. Si bien qu'il changea vite de comportement, échangeant les éloges des insultes, les moments où il me prenait dans ses bras contre des coups. Oui, mon père me battait. Par chance – enfin, c'est un bien grand mot – ma sœur et ma mère étaient souvent là pour les recevoir à ma place. C'était noble de leur part, mais je m'en sens toujours coupable. Si j'avais été plus fort, j'aurais pu encaisser et elles n'auraient pas eu à prendre ainsi ma défense.
Sombre imbécile. Je te hais, et si j'avais eu autant de maturité que j'en ai à présent à l'époque, je t'aurai dit à quel point je te hais, à quel point tu es misérable, une plaie, un cancer et un parasite qui empoisonne l'existence même de ma mère, et à quel point elle était une femme mille fois trop bien pour la raclure d'égout qu'il était. Tu ne mérites pas les sacrifices qu'elle a fait, ni même l'amour qu'elle t'a porté. Elle n'est restée avec une créature aussi abjecte que toi uniquement par amour pour nous. Car elle ne pouvait pas partir ainsi, sans quoi elle n'aurait pu remplir nos assiettes.
Mais toi, tu ne voyais rien. De nous deux, je me demande lequel est vraiment aveugle.
Et ce jour là, tu as dépassé les limites. Des semaines. Tu es parti des semaines sans donner la moindre nouvelle. Si tu avais vu dans quel état maman se mettait … De mon côté, je ne comprenais pas pourquoi elle s'inquiétait encore pour toi, misérable cloporte. Mais peu importe, ce jour là, tu mis fin à ton emprise sur nous. Tu es rentré, tout sourire, bronzé et avec plus un sous en poche. Notre argent, tu l'avais dilapidé. Alcool, hôtels, prostituées … Toi seul savait en quoi tu l'avais dépensé, et pour être franc, je ne veux pas le savoir. Tu peux bien faire ce que tu veux de ce qui te sert de cervelle dans ton pantalon, mais ce jour là, tu avais dépassé les bornes. Jamais je n'avais vu maman aussi enragée. Mon père du recevoir à peu près tout ce qui n'était fixé à un mur ou au sol dans la pièce. Après avoir fini par le fer à repasser, elle prit enfin la décision que nous attendions ma sœur et moi : elle nous fit quitter la maison. On se rendit alors chez ma grand-mère maternelle. Je l'aime énormément, Mamy Thérèse. Depuis tout petit, Ada et moi adorions nous rendre chez Mamy Thérèse et Papy Sebastian. On s'y sentait bien, on se sentait aimés et en sécurité. Mon père n'était pas là pour nous battre.
La suite des événements n'était pas des plus réjouissantes. Non content de se voir retirer sa ''femme'', ou plutôt son objet sexuel qu'était ma mère, mon père réclama la garde de SES enfants suite au divorce qu'avait prononcé ma mère. Ses enfants ? Comment osait-il… Je m'en souviens, cela m'avait mit hors de moi. Malgré mes 9 ans, j'étais en colère. Comment osait-il prétendre que nous étions ses enfants alors qu'il ne nous avait jamais témoigné autre chose que du mépris et de la haine. Chose que je te rends bien d'ailleurs. C'est bien la seule chose que te dois. La haine que tu m'inspires. Et crois moi, pauvre cafard, je m'en serais passé bien volontiers. Mais passons.
Les innombrables procès, les appels du juge, tout cela était épuisant. Ma mère était à bout, elle n'aurait plus la force de tenir très longtemps, je le voyais bien. Et c'est alors qu'il se passa quelque chose auquel je n'arrivais pas à croire. Entre temps, maman avait trouvé un nouvel amant. Un homme très aimable qui s'avérait être un bon père. C'était nouveau pour nous d'avoir un vrai père. Mais cela avait quelque chose d'apaisant, et permettait aussi à maman de tenir le coup. Mais au bout de presque 2 ans de procédures interminables, Ada changea. Elle devint odieuse, froide et distante avec maman. Elle lui parlait comme mon père. Je ne la reconnu plus dès ce moment. Un fossé se creusa entre nous et Ada, fossé qui, j'ai bien peur, risque de ne jamais pouvoir se combler entièrement.
Elle avait 15 ans quand elle commença à se comporter ainsi, et au bout d'un an, elle décida de partir vivre chez mon père, prétextant qu'elle était plus heureuse avec lui qu'avec maman. Cette décision brisa le coeur de ma mère, et le mien par la même occasion. Mais les ennuis n'étaient pas finis. Les procédures continuaient encore et encore. Entre temps, maman eu un nouvel enfant avec son nouveau compagnon. Une petite fille, Éloïse. J'avais donc une petite sœur, âgée de 14 ans de moins que moi. Cela était assez étrange, mais j'aimais beaucoup Eloïse. Cependant, malgré tout, maman n'en pouvait plus des procédures de divorce, et alors que j'avais 15 ans, Ada vint à la maison pour donner à maman des papiers par rapport au divorce. Moi, j'étais dans la pièce d'à côté avec Eloïse, je la surveillais jouer pendant que maman discutait avec ma sœur. Cette dernière eut des mots durs, presque haineux à son encontre, me faisant entrer dans un état d'énervement assez prononcé. Avant de partir, elle se tourna vers moi en me lança une dernière pique qui acheva de me faire entrer dans une colère noire, chose qui n'était pourtant pas chose facile.
''J'espère sincèrement que tu viendras pas squatter chez moi et papa, on a pas envie d'avoir le digne fils à sa maman chez nous.''
Elle quitta ensuite la maison, me laissant là avec ces mots plantés dans mon coeur comme des poignards, mes yeux se remplissant de larmes tandis que j'entendais ma mère fondre en larmes en partant dans sa chambre, suivie par mon beau-père. Je me mis alors à frapper frénétiquement sur la table du salon, pour évacuer toute ma colère et ma haine. Devant cela, Éloïse se mit à pleurer, attristée de me voir dans cet état, et sans doute aussi beaucoup effrayée. Ce qui se passa ensuite fut sans doute la plus grosse erreur de ma vie. Je m'en veux toujours aujourd'hui.
Plongé dans un état de colère noire, les cris de ma petite sœur me rendaient fou, si bien que j'emportai en lui hurlant dessus d'arrêter de pleurer. C'est alors que mon don qui me permettait de manipuler et d'amplifier les ondes sonores, que je n'avais découvert que récemment, prit le dessus sous l'effet de la colère. Les cris de ma sœur furent décuplés, si bien que toute la pièce en trembla, jusqu'à faire tomber le lustre en verre au sol. Suite à l'impact, des éclats de verres furent projetés un peu partout. Par chance pour Eloïse, j'étais entre elle et le lustre. Elle ne reçut donc aucune blessure due aux débris. Moi en revanche, je ne fus pas aussi chanceux. Je perdis la vue ce jour là, mes yeux étant littéralement déchiquetés par les morceaux de verres qui s'y incrustèrent. J'hulai à la mort, j'avais mal, tellement mal … Ce que je ne savais pas alors, c'est qu'en amplifiant involontairement la puissance des cris de ma sœur, je lui avais provoqué une hémorragie cérébrale grave. Bien entendu, alertée par les cris et la fracas du lustre, ma mère avait accourue et constatant la scène, nous emmena directement à l'hôpital. Éloïse était dans le coma, moi j'étais aveugle. Et ma famille était brisée. Éloïse garda d'ailleurs des séquelles de son accident. Depuis lors, elle se mure dans son propre monde, et malgré ses huit ans, elle a un comportement très enfantin et puéril. Je suis d'ailleurs le seul à réussir à la comprendre et à communiquer parfaitement avec elle. Sans doute ressent-elle ma culpabilité et ma honte quant à la responsabilité que je porte vis à vis de son état, mais depuis cet incident nous sommes devenus encore plus proches que nous ne l'étions déjà.
Ce n'est que quelques temps plus tard qu'Ada refit surface, ayant de nouveau des papiers à faire signer à maman. Elle apprit alors sur le tas pour moi et la petite, et nous rendit visite aussitôt. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? À l'époque je ne la voyais plus que comme celle qui nous avait trahis, si bien que je la refusai dans la chambre d'hôpital.
Peu de temps après, le calvaire judiciaire prit fin. Mon père avait obtenu la garde d'Ada, et moi je restai avec ma mère. C'était bien ainsi. Ada était avec celui qu'elle aimant, et moi avec celle que j'aimais. Nous étions tous tombés d'accord sur au moins un point une fois dans notre ''vie de famille''.
Par la suite, j'intégrai la prestigieuse académie de Perce-Ciel afin de m'assurer un avenir. En effet, Perce-Ciel était une académie extrêmement réputée, et avoir fait ses études en son sein vous assurait un avantage non négligeable pour votre avenir professionnel. Pour a part, je m'y sentais bien. Malgré mon handicap, on ne me jugeait pas, du moins pas en mal. Je n'échappais pas aux remarques du style ''ça doit pas être facile d'être aveugle'' ou bien au comportements surprotecteurs du style à me tenir les portes ouvertes. On me prenait beaucoup en pitié, mais c'était toujours mieux que des moqueries. Oh, j'en ai reçue quelques unes, mais globalement, le bilan sur ma scolarité à Perce-Ciel était plus que positif. Je m'y sentais d'ailleurs si bien qu'aujourd'hui, je suis devenu professeur d'histoire évaleonnienne à Perce-Ciel. J'étais d'ailleurs le plus jeune professeur de l'académie. En effet, il fallait normalement être âgé de 26 ans pour obtenir un psote, mais mes résultats aux examens et en formation étaient tels que je fus nommé professeur dès l'âge de 25 ans.
Entre temps, je fis la rencontre d'Aïko Nari, une jeune femme merveilleuse. Ce fut la seule personne externe à ma famille à me traiter comme quelqu'un de normal, à faire fi de ma cécité. De plus, elle était si douce et attentionnée que le coup de foudre ne mit pas beaucoup de temps à arriver. Aujourd'hui encore, nous vivons ensemble, et avec mon poste de professeur fraîchement obtenu, je m'apprête à effectuer ma première rentrée scolaire de l'autre côté du bureau.